lundi 25 février 2013

Le rôle politique du roi Albert II en 2011

Le Roi ne sera pas entendu :  le ministre d'Etat Johan Vande Lanotte ne parvient pas à trouver un accord entre les sept partis (PS, NVA, SPA, CDH, CD&V, Ecolo et Groen) et demande à être déchargé de sa mission en janvier 2011. Le 2 février, Albert II désigne un nouvel informateur, le vice-premier ministre Didier Reynders, afin de trouver une autre coalition de partis pour former le nouveau gouvernement. La famille libérale est désormais invitée à participer aux négociations. Parallèlement, le Roi demande au gouvernement sortant d'Yves Leterme de préparer le budget 2011 et de le présenter au Parlement.

Philippe Moureaux, vice-président du PS et bourgmestre de Molenbeek, déclare le 18 février au journal "La Libre Belgique" :  "Heureusement qu'on a encore un chef de l'Etat qui a beaucoup de patience, qui réussit chaque fois à remettre la machine en marche. Faisons-lui confiance. Il a aujourd'hui des pouvoirs que le roi des Belges n'a plus eus depuis des dizaines d'années. Même les partis de gauche applaudissent parce qu'ils préfèrent cela au vide. C'est un paradoxe extraordinaire. Et je suis de ceux qui applaudissent sans réticence. On a besoin de cela pour le moment. Et j'espère qu'il continuera avec le même talent".

Après la mission d'information de Didier Reynders, Albert II charge, le 2 mars, le jeune président du CD&V Wouter Beke de relancer les négociations sur la prochaine réforme de l'Etat.

Pendant ce temps, le Palais est confronté à la sortie de "Belgique, un roi sans pays". L'initiative est intéressante à double titre : consacrer tout un ouvrage au rôle politique d'Albert II (ce qui n'avait jamais été fait) et confier sa rédaction à un journaliste francophone (Martin Buxant de "La Libre Belgique") et à un journaliste néerlandophone (Steven Samyn de "De Morgen"), tous deux âgés d'une trentaine d'années. Pour mener leur enquête objective et sérieuse, ils ont rencontré des responsables politiques et des proches de la Cour.

Ce livre aborde très peu la première partie du règne d'Albert II (1993-2007) où il se mêle peu de politique et a un rôle presque protocolaire. Selon les auteurs, le Roi aurait voulu ne pas signer la loi dépénalisant l'euthanasie, mais il se serait ensuite laissé convaincre par le monde politique et n'aurait aujourd'hui aucun regret à ce sujet. En 2003, il aurait encouragé le gouvernement belge à ne pas envoyer de troupes en Irak, par crainte de voir notre pays menacé par le terrorisme. Mais il préférerait la politique pro-atlantiste du ministre de la Défense Pieter De Crem à celle plus humanitaire de son prédécesseur André Flahaut. Il manque un chapitre sur les initiatives prises par le couple royal suite à l'affaire Dutroux en 1996.

Ils racontent ensuite les décisions politiques prises par Albert II depuis 2007. Les problèmes communautaires l'ont en effet obligé à jouer un rôle nettement plus important. On découvre les coulisses de ce qui se passe derrière les grilles du palais, notamment l'influence des partis et de son chef de cabinet Jacques van Ypersele de Strihou. Le Roi prend quelques risques mais ne commet aucun faux pas. Il donne l'image d'un bon papa sympathique qui tente de recoller les morceaux entre Flamands et francophones. Mais il peut être aussi en colère, par exemple contre le jeune président du VLD Alexander De Croo qu'il accuse d'être responsable de la chute du gouvernement en 2010.

Des chapitres sont ensuite consacrés à l'entourage, au coût et à la foi de la famille royale, ainsi qu'aux personnes anoblies par le Roi. Les auteurs affirment que c'est la reine Paola qui s'opposerait à la reconnaissance officielle de Delphine Boël par son père. Ils évoquent ensuite les mauvaises relations entre le prince Philippe d'une part, et le monde politique, la presse et le chef de cabinet d'Albert II d'autre part, ainsi que le souhait de plusieurs partis d'une monarchie protocolaire (comme en Suède) pour le prochain règne.

Leur conclusion?   "Jusqu'ici, Albert II a pu slalomer entre les exigences des uns et des autres. Mais chacun, aujourd'hui en Belgique, pressent que cet exercice de style a atteint ses limites et n'est plus guère tenable. Jusqu'ici, Albert II a eu les épaules assez larges que pour ne pas laisser l'édifice royal s'effondrer. Mais tout porte à croire - de la difficulté de la succession royale à l'évolution des esprits de la classe politique en passant par un pays si particulier à gouverner - que le temps presse. Jusqu'ici, ce roi est à la tête d'un pays. Jusqu'ici ce pays a un roi. Jusqu'ici".

Si cet ouvrage intéressant est plutôt positif pour l'image d'Albert II, il brise cependant un tabou : le secret entourant les colloques singuliers entre le Roi et les responsables politiques. Certains ont été peu loquaces avec les deux journalistes, mais d'autres (comme Bart De Wever et Alexander De Croo qui n'avaient pas de bonnes relations avec le souverain durant la crise politique) ont raconté en détail leurs audiences royales. Cela ajoute donc une difficulté à la tâche d'Albert II qui devra être beaucoup plus prudent à l'avenir lors de ses consultations politiques...

Le Palais réagit le 5 mai :   "Plusieurs quotidiens ont publié ce matin des extraits d'un livre faisant état du contenu d'entretiens du Roi. Le Palais regrette que la discrétion du colloque singulier ne soit pas respectée. Cette discrétion a pour but de permettre au chef de l'Etat de remplir sa fonction. Certains des extraits publiés comportent des inexactitudes manifestes, notamment sur les entretiens du 16 juin et du 8 octobre 2010".

Entretemps, le Roi remet le Prix International Roi Baudouin pour le Développement 2011 au Docteur Denis Mukwege, récompensé pour son travail au Congo auprès des milliers de femmes victimes de violences sexuelles. Un mois plus tard, lors d'un sommet à New York, le premier ministre belge Yves Leterme remet au secrétaire-général de l'ONU Ban Ki-Moon une lettre personnelle d'Albert II pour encourager les Nations Unies à accorder suffisamment d'attention à la lutte contre les violences sexuelles faites aux femmes. Il est extrêmement rare qu'il écrive à une organisation internationale. Notre souverain en parle aussi dans son discours télévisé de la fête nationale :

"Nos problèmes internes ne doivent pas nous conduire vers un repli égoïste sur nous-mêmes et nous faire oublier le monde qui nous entoure. A ce propos, je voudrais partager avec vous l'émotion que j'ai ressentie lors de la remise du Prix International Roi Baudouin pour le Développement au médecin congolais Denis Mukwege. Dans des conditions très difficiles, il soigne et vient en aide aux femmes qui sont victimes de terribles violences dans l'est du Congo. J'appelle notre pays, l'Union Européenne et les Nations Unies à travailler efficacement avec les autorités du Congo et des pays voisins pour mettre fin à ce drame. Nous ne pouvons pas rester indifférents à de telles situations".

Revenons à la crise politique... Le 12 mai, Wouter Beke demande à Albert II de le décharger de sa mission sans avoir pu relancer les négociations. Après avoir reçu en audience les présidents de partis, le Roi accepte sa démission et nomme formateur Elio Di Rupo, président du PS et ministre d'Etat. Le 4 juillet, celui-ci présente au souverain et aux partis démocratiques un nouveau compromis pour la réforme de l'Etat, ainsi qu'une série de propositions socio-économiques pour assainir les finances publiques. Sept partis (PS, SPA, Ecolo, Groen, MR, VLD et CDH) acceptent cette base de négociations, mais ils n'ont pas la majorité des 2/3 au Parlement pour entreprendre une réforme de l'Etat. Elio Di Rupo apporte sa démission au roi Albert qui la garde en suspens, le temps de laisser quelques jours au formateur pour tenter de convaincre le CD&V de rejoindre les sept partis.

Le Roi se montre très irrité lors de son discours du 21 juillet :   "En cette fête nationale, j'aurais aimé me réjouir avec vous de la prestation de serment d'un nouveau gouvernement fédéral de plein exercice. Nous n'en sommes hélàs pas là, et je le déplore. Entretemps, pendant cette longue négociation, le gouvernement en affaires courantes a su prendre efficacement les mesures nécessaires pour préserver dans l'avenir proche le bien-être des citoyens. Toutefois, cela ne diminue en rien l'urgence et la nécessité de former un gouvernement investi de pleines responsabilités et qui devra réaliser les réformes structurelles nécessaires dans les domaines institutionnel et socio-économique. De là mon nouvel appel à tous les citoyens et en premier lieu aux responsables politiques.

Un célèbre constitutionnaliste anglais, Walter Bagehot, précisait les prérogatives de la monarchie constitutionnelle comme suit :  le droit d'être informé, le droit d'encourager et le droit de mettre en garde. Ces derniers mois, dans mes audiences, j'ai beaucoup utilisé les deux premières prérogatives : être informé et encourager. Avec vous, je voudrais à présent faire usage publiquement, en toute transparence, de la troisième prérogative : le droit de mettre en garde. Je le fais fortement et avec conviction pour les raisons suivantes.

1° Comme un très grand nombre de Belges, je suis affligé par la plus longue durée, de mémoire d'homme, de formation d'un gouvernement. Cela crée chez beaucoup d'entre vous un sentiment d'inquiétude quant à l'avenir. J'ai pu m'en rendre compte lors de mes visites dans les différentes régions.

2° La durée de cette crise suscite aussi, dans une grande partie de la population, de l'incompréhension vis-à-vis du monde politique qui n'apporte pas de solution aux problèmes. Cela risque de développer une forme de poujadisme qui est dangereuse et néfaste pour la démocratie.

3° Si cette situation perdure longtemps encore, elle pourrait affecter de façon négative et très concrète le bien-être économique et social de tous les Belges. Il faut en être bien conscient.

4° Un des atouts importants de la Belgique, depuis la seconde guerre mondiale, est son rôle au sein de l'Europe. Cela nous a valu de devenir de fait, comme pays, la capitale de l'Europe et de jouer un rôle moteur dans cette formidable aventure qu'est la construction européenne. Notre pays, avec sa diversité culturelle, était considéré d'une certaine manière comme un modèle pour l'Union Européenne. Notre situation actuelle crée de l'inquiétude auprès de nos partenaires, et pourrait endommager notre position au sein de l'Europe, voire l'élan même de la construction européenne déjà mis à mal par les eurosceptiques et les populistes.

Je ne serais donc pas fidèle à mon rôle, si je ne rappelais pas solennellement les risques qu'une longue crise fait courir à tous les Belges, et si je n'exhortais pas à nouveau tous les hommes et toutes les femmes politiques, et ceux qui peuvent les aider, à se montrer constructifs et à trouver rapidement une solution équilibrée à nos problèmes. Comme je le rappelais à l'occasion de la Noël, et je cite :

"Dans la recherche de cet accord raisonnable, il est évident que chaque partie devra faire des concessions. Chacun aura donc l'obligation de prendre ses responsabilités. Le moment est venu où le vrai courage consiste à chercher fermement le compromis qui rassemble, et non à exacerber les oppositions. Si un tel accord se réalise, un nouveau gouvernement fédéral pourrait être constitué. Avec les entités fédérées, il sera à même de prendre des mesures nécessaires pour sauvergarder le bien-être de la population, et pour rétablir la confiance au sein du pays"  (fin de citation)

Mais les citoyens ne doivent pas seulement exhorter leurs représentants à prendre les décisions courageuses qui s'imposent. Ils doivent aussi s'efforcer de favoriser une meilleure entente entre nos communautés en faisant des pas concrets vers l'autre, en parlant sa langue, en s'intéressant à sa culture, en essayant de mieux le comprendre. C'est là une forme importante de citoyenneté moderne".

Dans la nuit du 21 au 22 juillet, Elio Di Rupo fait part au Roi que huit partis (PS, SPA, Ecolo, Groen, MR, VLD, CDH et CD&V), disposant de la majorité des 2/3 au Parlement, sont d'accord d'entreprendre des négociations à la mi-août. Le parti nationaliste flamand NVA de Bart De Wever est relégué dans l'opposition.

Un accord sur la future réforme de l'Etat intervient enfin à la mi-octobre et le Palais ne cache pas que "le Roi s'en est réjoui vivement". Les deux partis écologistes (Ecolo et Groen) sont ensuite envoyés dans l'opposition par leurs partenaires, désireux de former une coalition gouvernementale à six. Le 21 novembre, suite au blocage des négociations socio-économiques, Elio Di Rupo se rend au château de Ciergnon pour demander au souverain de le décharger de sa mission de formateur. Il refuse et fait publier le communiqué suivant :  "Le Roi rappelle la gravité de la situation actuelle et souligne que la défense de l'intérêt général de tous les Belges et les échéances européennes nécessitent une résolution très rapide de la crise politique. Il demande que chaque négociateur prenne dans les heures à venir un temps de réflexion pour mesurer les conséquences d'un échec et chercher activement une solution".

Nouveau communiqué le lendemain après avoir reçu en audience à Ciergnon les présidents des six partis :   "Le Roi demande à chacun des six partis d'accomplir l'effort additionnel nécessaire pour clôturer les négociations budgétaires et socio-économiques et former un gouvernement dans les meilleurs délais".  Un accord intervient quelques jours plus tard et Elio Di Rupo vient l'expliquer le 1er décembre à Albert II. La prestation de serment du nouveau gouvernement (PS, SPA, CDH, CD&V, MR et VLD) a lieu le 6 décembre au château de Laeken. Le lendemain, le premier ministre sortant Yves Leterme est nommé ministre d'Etat.

Le Roi se montre soulagé dans son discours de Noël 2011 :

"Aujourd'hui, je puis enfin me réjouir vivement avec vous des accords réalisés et de la formation d'un nouveau gouvernement fédéral de plein exercice. Cela prouve que notre pays demeure capable de réaliser des compromis qui rassemblent, tant sur le plan communautaire qu'en matière économique et sociale. Bien sûr, cela ne signifie pas que tout soit résolu pour autant. Plusieurs défis nous attendent.

Tout d'abord, il va falloir traduire en textes de loi les réformes institutionnelles profondes qui ont été décidées. Elles donneront aux entités fédérées davantage de compétences, une plus grande autonomie fiscale et une responsabilisation accrue. Cette transformation doit se réaliser sans nostalgie et avec la ferme volonté de voir ce nouveau projet pour notre pays réussir pleinement.

En même temps, le gouvernement devra faire face à des défis économiques et sociaux énormes. Là aussi, des décisions rigoureuses ont été prises afin de préserver à terme le bien-être de la population. Chacun devra cependant contribuer, en fonction de ses capacités, aux sacrifices nécessaires pour rétablir au plus vite les finances publiques de notre pays. Mais suffit-il de mettre en oeuvre des réformes institutionnelles et économiques pour faire progresser notre pays de façon décisive?

C'est essentiel mais pas suffisant. Il importe que ces réformes s'accompagnent d'une évolution profonde de nos mentalités. A ce sujet, je pense d'abord à une meilleure compréhension entre les citoyens de nos différentes communautés et régions. Il serait quand même incompréhensible, à une période où il est tant question de globalisation, d'ouverture aux autres cultures sur le plan international, que l'entente entre voisins immédiats, au sein d'un même pays, soit déficiente.

Veillons donc à mieux comprendre la culture, la mentalité des uns et des autres. Nous percevrons alors les complémentarités qui existent entre nos diverses communautés et régions. Nous réaliserons combien ces complémentarités sont une richesse qui favorise la tolérance et la créativité. Encourageons des projets qui mobilisent les citoyens à mieux se connaître. Rejetons fermement les caricatures simplistes et injustes de l'autre, qui attisent les préjugés et les antagonismes stériles et sèment la division. Je suis convaincu que si nous avançons sur cette voie, de nouvelles formes de collaboration se développeront entre nos entités fédérées, devenues plus autonomes. C'est ce qui s'est passé dans le monde universitaire.

Veillons enfin, dans la période économique la plus difficile depuis la seconde guerre mondiale, à préserver au mieux la tradition de dialogue entre partenaires sociaux, qui est un des grands acquis de notre pays. Le souci de cohésion sociale doit être une préoccupation constante pour tous. Maintenant que nous avons retrouvé notre capacité à résoudre nos difficultés intérieures, nous sommes à nouveau crédibles sur le plan international pour reprendre notre rôle de pionnier dans la construction européenne. Dans de nombreux domaines, seule une Europe cohérente est en mesure de répondre aux grands défis que nous connaissons actuellement. Nous pouvons y contribuer efficacement".


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