lundi 16 décembre 2013

Astrid sénatrice de droit de 1996 à 2013

Deux ans après son frère le prince Philippe, la princesse Astrid de Belgique devient sénatrice de droit en novembre 1996. Après avoir prêté serment, elle prononce le discours suivant :

"Monsieur le Président,

De tout cœur, je vous remercie pour les aimables paroles que vous venez de m'adresser. Ce remerciement me vient en effet du fond du cœur car vous ne pouvez imaginer combien je suis honorée et fière de prendre place parmi vous. J'avouerai aussi que je suis très impressionnée, mais la grande amabilité de votre accueil m'encourage à m'adresser à cette Haute Assemblée. Aujourd'hui, j'ai le privilège de la parole, mais à l'avenir, je compte surtout venir écouter.

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Le nouvel article 72 de la Constitution adoptée par les Chambres, m'autorise à devenir membre du Sénat. En toute modestie, j'accepte cet honneur. Je prends place parmi vous avec conviction, à côté de mon frère aîné le prince Philippe, et animée d'une ferme volonté de servir là où cela me sera possible et dans la mesure de mes moyens.

Vous ne serez certes pas surpris par un des thèmes que je compte développer aujourd'hui devant vous. En effet, il est en relation directe avec les événements de ces derniers mois. Ils m'ont, comme tout un chacun, profondément touchée. Le message paisible proclamé avec sérénité et recueillement par cette "mer blanche", il y a tout juste un mois, nous a redonné à tous de l'espoir. Cette manifestation impressionnante fut pour moi une première expression concrète de ce que le Roi, mon père, qualifiait quelques jours auparavant, et je cite,  "l'occasion d'un sursaut moral et d'un changement profond dans notre société" (fin de citation). J'ai le sentiment que notre société démocratique a reçu ce jour-là une impulsion nouvelle. Ce fut un cri silencieux pour plus d'humanité, de justice et de franchise.

Comment en sommes-nous arrivés là?

J'ai l'impression que des préoccupations budgétaires et financières urgentes et indispensables prirent le pas sur des considérations d'ordre humain. De ce fait, le souci de l'homme fut parfois relégué à l'arrière-plan. Dans notre société technique et administrative, le citoyen ordinaire éprouve parfois bien des difficultés à faire valoir ses droits. Ces difficultés devinrent insurmontables pour les victimes de délits, qui appelaient en vain l'attention sur leurs doléances et qui plaidaient pour un traitement plus humain. Il semblait, en effet, que le souci des droits du prévenu avait pris la place sur celui de l'aide aux victimes.

Il en résulta une situation extrêmement pénible qui se traduisit en une souffrance sans nom pour les victimes innocentes de la maltraitance d'enfants et aussi pour leurs familles. Autre situation remarquable :  les familles des victimes incitent pacifiquement les autorités et les institutions de notre pays à coordonner leur action. Elles interpellent le gouvernement avec le message non équivoque que les dirigeants et les institutions sont au service de la population et qu'ils ne peuvent se considérer comme des moyens de pouvoir. La population attend des autorités une remise en ordre des choses et le monde entier est impressionné par la dignité de l'exigence.

Il est encourageant de remarquer que les premières initiatives du gouvernement ont pour but une approche plus humaine dans l'action judiciaire ainsi qu'une transparence accrue. L'accueil et l'aide aux victimes de délits recevront l'attention qu'ils méritent, et nos communautés y auront une tâche importante à remplir.

La population attend une action des autorités. Cela me paraît normal. Mais ne vous semble-t-il pas aussi que chaque citoyen devrait de temps à autre marquer un temps d'arrêt dans sa vie si agitée et se poser la question :  comment puis-je contribuer personnellement à rendre notre société meilleure, plus juste et plus humaine?

En tant que jeune femme, ayant une expérience encore modeste de la vie, je me pose la question si nous montrons suffisamment que nous préférons l'amour du prochain, la tolérance et l'écoute bienveillante à l'égoïsme, si nous nous efforçons vraiment de valoriser les autres et de reconnaître la dignité humaine de chaque personne (même les moins favorisées par la vie, les démunis, les malades et les handicapés), si nous considérons la justice et la solidarité comme des valeurs fondamentales dans notre civilisation.

Voilà, me semble-t-il, quelques valeurs universelles qu'il nous appartient de préserver et de transmettre à nos enfants car, comme le disait en mai 1993 mon oncle regretté le roi Baudouin et je cite :   "Chaque fois que la société s'en écarte, elle souffre et en fait souffrir d'autres"  (fin de citation). L'éducation qui transmet ces valeurs acceptées par tous à la génération montante, occupe dès lors dans notre société une place très importante. En ce sens, j'aimerais citer le philosophe contemporain le comte Sponville qui a dit que l'éducation constitue encore et toujours la base de l'encadrement moral des hommes. De même, au 17ème siècle, Spinoza affirmait déjà qu'il valait mieux enseigner les vertus que de condamner les vices.

Ceci est plus actuel que jamais. Dans notre monde où les techniques de communication offrent des possibilités inespérées, nous devons prendre le temps pour stimuler le dialogue entre l'enfant et l'éducateur. Dans cet échange, toute forme de domination de l'enfant devrait être écartée sans pour autant qu'il puisse être interdit d'interdire. Le juste milieu se trouve, selon moi, dans cet équilibre.

Par ailleurs, pour se dépasser et apprendre à assumer leurs responsabilités, les jeunes doivent se sentir encouragés et valorisés. Mais ils doivent aussi être conscients que tout n'est pas permis, que la liberté de chacun s'arrête là où commence celle des autres, que convaincre ne signifie pas forcer, que l'amour doit être vécu dans le respect et pour l'épanouissement de l'autre.

Ceci contraste singulièrement avec la violence brutale et le plaisir égoïste hélàs si fréquemment étalés de nos jours. L'éducation ne devrait-elle pas aussi permettre aux jeunes de découvrir l'extraordinaire dans les choses simples, d'admirer ce qui est beau, d'aimer et de respecter la nature et de prendre conscience que l'art nous anoblit? 

C'est au sein de la famille que l'adulte, dans le respect de la créativité de l'enfant, entreprend de l'éduquer. Il est consternant d'observer, comme l'a exposé le ministre de la Justice lors de la récente table ronde au palais, que 15% des jeunes filles et 2% des garçons ont été au moins une fois victimes d'abus sexuels avant l'âge de 18 ans. Si nous relevons de plus que la plupart des cas de maltraitance d'enfants surviennent dans le milieu familial, nous pourrions nous interroger sur le rôle protecteur que joue encore la famille. Je reste néanmoins convaincue que la famille, cellule élémentaire de la société, demeure le lieu privilégié où l'éducation commence, où l'on guide les premiers pas, où les premières interdictions sont enseignées avec tendresse.

Comme toutes les mamans, j'expérimente jour après jour ce lien particulier qui unit la mère à l'enfant. Sans sous-estimer le moins du monde la place importante du père de famille, j'aimerais souligner ici le rôle essentiel que joue la mère dans l'éducation de l'enfant. Cela ne doit pas empêcher la femme, j'en ai la ferme conviction, d'avoir la possibilité, comme l'homme et en complémentarité avec lui, d'exercer une activité professionnelle et notamment de s'engager dans la vie publique. Vous partagerez certainement mon opinion, Messieurs les Sénateurs, chers collègues, qu'une plus grande présence féminine pourrait augmenter encore la qualité de cette Haute Assemblée.

Je viens de parler de la famille comme premier chaînon dans la société. Mais la famille n'est pas seule pour assurer l'éducation. A côté d'elle, l'école, le village, la ville, la communauté, notre nation, doivent chacun à son niveau contribuer à la valorisation de notre société. Notre pays, situé au carrefour de l'Europe, peut dans ce domaine jouer un rôle important et servir de modèle à la construction européenne. En effet, la marche blanche a démontré que notre pays recèle encore bien des forces et de l'énergie pour s'engager au profit du bien commun. Je constate cela chaque fois en voyant avec quel zèle et désintéressement les volontaires de la Croix-Rouge de Belgique s'engagent dans les projets qui y sont développés, également ceux pour les jeunes et par les jeunes. Cet altruisme anime également les nombreuses autres organisations humanitaires de notre pays qui se dévouent sans compter, en Belgique comme à l'extérieur. Et je pense spécialement aux équipes qui se tiennent prêtes à intervenir en Afrique Centrale où sévit un terrible drame qui ne peut nous laisser indifférents. L'engagement généreux de ces personnes doit nous remplir d'optimisme.

Forte de cette conviction et confiante dans la personne humaine, dans sa dignité et son avenir, je souhaite clôturer mon intervention par un sujet qui me tient très à cœur, car il concerne toutes les femmes et tous les hommes de notre pays :  l'union si nécessaire dans notre Belgique fédérale. Des nombreux sondages qui furent effectués auprès de la population, je retiens cette simple mais importante constatation :  la grande majorité des Belges, dans chacune de nos régions et communautés, reste attachée à l'unité de notre pays. C'est une réalité qui ne peut être contestée. Serait-il possible que dans une démocratie, la volonté de la population soit ignorée et que ses aspirations demeurent lettre morte? Le Sénat, en tant que lieu de rencontre entre nos communautés et de par sa composition et ses responsabilités en matière institutionnelle, a notamment pour vocation de promouvoir la cohésion au sein de notre pays. Tout en nous inspirant du message de nos concitoyens, nous pouvons donc contribuer à la cohésion et l'entente entre les Belges, et leur rendre confiance en l'avenir.

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Il n'entrait pas dans mes intentions de proclamer des vérités sensationnelles, ni d'approfondir tous les aspects de chaque problème. Je vous ai simplement parlé avec mon cœur. Je vous remercie de m'avoir écouté et je me réjouis déjà de participer à l'avenir aux travaux de cette assemblée".

En 1997, la princesse participe aux travaux de la commission des Affaires Sociales du Sénat et à la séance plénière consacrés au chômage et à l'exclusion sociale. Elle assiste aussi à la journée d'étude "Paix en Europe" organisée par le Sénat, la Chambre et Pax Christi International.

Astrid se rend dans la Haute Assemblée en 1998 pour la célébration des 50 ans du droit de vote des femmes et pour les travaux de la commission des Affaires Etrangères du Sénat sur le projet de loi concernant la coopération technique belge.

Après avoir rendu une visite de courtoisie au nouveau président du Sénat Armand De Decker en octobre 1999, la princesse y retourne un mois plus tard pour une séance plénière sur les droits de l'enfant. En 2000, elle assiste à une journée d'étude sur l'application de la convention de La Haye sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, et à la prestation de serment de son frère cadet le prince Laurent comme sénateur de droit.

Après avoir reçu en audience la sénatrice Jacinta De Roeck, présidente du Groupe de Travail Interparlementaire Quart Monde, la princesse participe au Sénat à la Journée Mondiale du refus de la misère en octobre 2001. Cette rencontre entre des représentants d'associations et des sénateurs avait pour objectif d'élaborer de nouvelles politiques efficaces de lutte contre la pauvreté. Un an plus tard, elle est à nouveau présente à une réunion du Sénat du Groupe de Travail Interparlementaire Quart-Monde.

La princesse confie à l'hebdomadaire "La Libre Match" en 2004 :   "Dans un pays comme le nôtre où il y a tant de bien-être, j'ai beaucoup de mal à admettre qu'il y ait tant de gens vivant dans une grande pauvreté. C'est sur base de cette réflexion que j'ai essayé de mieux comprendre le pourquoi de ce problème et que j'ai participé, comme sénatrice de droit, à des réunions interparlementaires. Le problème de la pauvreté est très vaste et se situe, en premier lieu, au niveau de l'emploi et du logement (électricité, chauffage, logement insalubre,...). Nous avons heureusement, dans notre pays, plusieurs forums, aussi bien au niveau fédéral que régional, qui coordonnent les initiatives locales dans ce domaine et qui exploitent les rapports sur la pauvreté, rédigés par la Fondation Roi Baudouin".

En novembre 2004, Astrid assiste à la conférence de presse du Groupe de Travail Interparlementaire Quart Monde au Resto du Cœur de Saint-Gilles, où s'était rendu son oncle le roi Baudouin peu de temps avant son décès. Lors de la Journée Mondiale du refus de la misère 2005, elle prononce un discours au Sénat, dans lequel elle déclare notamment :

"Permettez-moi de signaler deux groupes de populations qui méritent une attention particulière.

La cohabitation multiculturelle dans notre pays est une réalité. C'est incontestablement une grande richesse, mais au même moment, un énorme défi. Des femmes, des hommes, des enfants du monde entier vivent chez nous et ont décidé de construire ici un nouvel avenir. Il nous appartient donc de structurer un réseau économique et social de telle manière qu'ils puissent bénéficier des normes minimales pour une existence humaine et digne.

La même exigence prévaut pour répondre au vieillissement croissant de la population. Les risques spécifiques de ces personnes de tomber dans la pauvreté et de devenir isolées sont réels. D'un rapport de 2004, il apparaît que 25% des personnes de plus de 65 ans possèdent un revenu inférieur au seuil de la pauvreté. Comme il s'agit ici d'un groupe spécialement vulnérable, qui en outre n'a plus la maîtrise de son destin, il n'est que juste de lui réserver une attention exceptionnelle.

La pauvreté n'est pas une fatalité. La pauvreté est un état, un "accident de la vie". La pauvreté peut être secourue, avec la volonté des personnes concernées bien sûr, mais aussi grâce à un ensemble bien coordonné d'initiatives privées et publiques aux différents niveaux officiels et non officiels. Les pauvres réclament le droit d'être des individus comme les autres, et de bénéficier d'un avenir meilleur. Ils ont raison de demander à la société d'être reconnus à part entière, et de ne pas être maintenus dans l'isolement.

Mendier, toujours demander de l'aide est humiliant et devient à la longue insupportable. Aussi il est nécessaire d'écouter attentivement les pauvres, avec patience et avec le respect de leur dignité. Le dialogue a des vertus que n'ont pas les sens uniques. Il est tout aussi nécessaire de collaborer avec eux, car, avec leurs expériences vécues, ils savent bien mieux que nous quelles sont les initiatives les plus susceptibles de réussir.

Enregistrer des résultats rapides et spectaculaires est rarement possible, mais il n'en faut pas moins souligner que certains problèmes de grande urgence méritent une priorité absolue. Avec l'hiver à nos portes, je pense automatiquement et directement aux coûts de l'énergie de chauffage et au logement décent des moins bien nantis. D'autres actions sans doute sont moins aigües ; cela ne veut pas dire qu'elles sont moins importantes. Ainsi, il me paraît qu'un effort fondamental doit être consenti en faveur de l'alphabétisation et de l'éducation de base conçues comme levier particulièrement utile pour sortir du cercle vicieux de la pauvreté".

En 2006, la princesse participe à trois activités au Sénat :  séance académique pour les 175 ans de la Constitution belge, visite de travail à la province du Limbourg avec le Groupe de Travail Interparlementaire Quart Monde sous la houlette de la sénatrice Jacinta De Roeck, et séance académique pour les 20 ans de la loi sur la protection et le bien-être des animaux. En mars 2007, Astrid assiste aux ateliers et à la présentation des résultats du Groupe de Travail Interparlementaire Quart Monde sur le thème "Fracture numérique, fracture sociale". Elle est également présente en 2008 lors de la séance académique pour les 60 ans de l'octroi du droit de vote aux femmes.

Dans le cadre de la sixième réforme de l'Etat, le Sénat est réformé en 2013 et les sénateurs de droit sont supprimés. De 1996 à 2013, la princesse Astrid a été plus présente au Sénat que ses deux frères, en particulier au sein du Groupe de Travail Interparlementaire Quart Monde qu'elle a suivi avec attention.

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